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Les multiples visages de la puissance dans les relations internationales
Introduction
Dans le monde contemporain, la notion de puissance demeure au cœur de la compréhension des relations internationales. Loin d'être une réalité monolithique et figée, la puissance se décline selon différentes modalités et s'exerce à travers des mécanismes variés. Pour appréhender cette complexité, les théoriciens des relations internationales ont développé plusieurs cadres conceptuels qui permettent de saisir les différentes dimensions de ce phénomène fondamental. Ce texte propose une exploration systématique de ces approches, en partant de la définition générale de la puissance pour ensuite examiner ses diverses manifestations concrètes.
1. La conception générale de la puissance selon Joseph Nye
1.1 Une définition tripartite
Joseph Nye, professeur à Harvard et figure majeure de la théorie des relations internationales, propose une définition de la puissance qui se décompose en trois éléments essentiels. Pour Nye, la puissance désigne la capacité, dans une situation donnée, d'agir et d'avoir un effet sur autrui, tout en parvenant à atteindre ses objectifs. Cette définition mérite d'être décomposée pour en saisir toute la portée.
Premièrement, la puissance implique une capacité d'action : elle n'est pas une propriété statique ou un attribut figé, mais bien une potentialité dynamique qui se manifeste dans l'action. Un État peut posséder des ressources considérables sans pour autant être puissant s'il ne parvient pas à les mobiliser efficacement.
Deuxièmement, cette capacité doit produire un effet sur autrui : la puissance est essentiellement relationnelle et se mesure dans l'interaction avec d'autres acteurs. Elle n'existe pas dans l'absolu, mais toujours en référence à un ou plusieurs autres acteurs sur lesquels elle s'exerce.
Troisièmement, la puissance vise l'atteinte d'objectifs : elle est téléologique, c'est-à-dire orientée vers des fins spécifiques. Un acteur puissant est celui qui parvient à réaliser ce qu'il souhaite accomplir dans le système international.
1.2 Les trois caractéristiques fondamentales de la puissance
Cette définition met en lumière trois caractéristiques essentielles qui permettent de mieux comprendre la nature de la puissance dans les relations internationales.
La puissance est situationnelle. Elle n'est jamais absolue, mais toujours relative à un contexte particulier. Un État peut être puissant dans un domaine ou une région géographique sans l'être dans d'autres. Par exemple, le Qatar dispose d'une puissance considérable dans le secteur énergétique grâce à ses réserves de gaz naturel, mais cette puissance ne se traduit pas nécessairement dans le domaine militaire. De même, la Norvège exerce une influence importante dans les négociations climatiques internationales, mais ne joue qu'un rôle limité dans les questions de sécurité au Moyen-Orient.
La puissance est relationnelle. Elle ne se définit jamais de manière isolée, mais toujours dans la relation avec d'autres acteurs. La puissance d'un État se mesure par rapport à celle d'autres États, dans un rapport de forces qui est constamment redéfini. Les États-Unis peuvent imposer leur volonté à certains petits États, mais doivent négocier avec la Chine ou l'Union européenne. Cette dimension relationnelle signifie également que la puissance n'est pas une ressource qu'on possède définitivement, mais une capacité qui doit être constamment réactualisée dans l'interaction.
La puissance est opératoire et stratégique. Elle ne se réduit pas à la possession de ressources, mais implique leur mobilisation efficace en fonction d'une stratégie. Un pays peut disposer d'une armée nombreuse sans être capable de projeter sa puissance militaire au-delà de ses frontières. Inversement, des États de taille modeste peuvent exercer une influence disproportionnée grâce à une diplomatie habile ou une position géostratégique favorable. Singapour, par exemple, compense sa petite taille par une diplomatie particulièrement sophistiquée et une position de carrefour commercial stratégique.
1.3 Les trois niveaux d'exercice de la puissance
Joseph Nye identifie trois modalités distinctes par lesquelles la puissance peut s'exercer dans les relations internationales, formant une hiérarchie croissante de sophistication et d'efficacité.
Le premier niveau consiste à imposer sa volonté ou faire plier celle des autres. C'est la forme la plus directe et la plus visible de la puissance. Elle se manifeste lorsqu'un acteur contraint un autre à agir contre sa volonté initiale. L'embargo économique imposé par les États-Unis à Cuba pendant des décennies illustre cette forme de puissance coercitive : Washington cherchait à forcer La Havane à modifier son système politique en la privant d'accès aux marchés américains.
Le deuxième niveau implique la capacité à contrôler l'agenda et les questions internationales. À ce niveau, la puissance ne consiste plus simplement à gagner sur une question donnée, mais à déterminer quelles questions méritent d'être débattues et comment elles sont formulées. Un État qui maîtrise cet aspect peut orienter les débats internationaux vers des thématiques qui lui sont favorables, tout en marginalisant d'autres sujets. Par exemple, les pays occidentaux ont longtemps dominé l'agenda des organisations internationales, privilégiant des questions comme les droits humains ou le libre-échange, tandis que les pays en développement peinaient à imposer des débats sur la réforme du système financier international ou les réparations coloniales.
Le troisième niveau, le plus subtil et le plus profond, consiste à façonner les préférences par l'idéologie. À ce stade, la puissance ne se contente plus de contraindre ou de limiter les choix, elle transforme la manière même dont les acteurs perçoivent leurs intérêts. Lorsqu'un acteur parvient à faire en sorte que d'autres adoptent spontanément ses valeurs et ses objectifs, il atteint la forme la plus efficace de puissance. L'expansion mondiale du modèle démocratique libéral après la Guerre froide illustre cette dynamique : de nombreux pays ont adopté ce système non par contrainte directe, mais parce qu'ils en étaient venus à le percevoir comme la forme légitime et désirable d'organisation politique.
2. La puissance structurelle selon Susan Strange
2.1 Une distinction conceptuelle fondamentale
L'économiste politique britannique Susan Strange a apporté une contribution majeure à la théorie de la puissance en distinguant deux types fondamentaux : la puissance relationnelle et la puissance structurelle.
La puissance relationnelle, que nous avons déjà évoquée, désigne la capacité d'un acteur A à influencer directement le comportement d'un acteur B dans une situation donnée. C'est la forme de puissance la plus immédiatement observable et celle qui retient généralement l'attention des médias et du public.
La puissance structurelle, en revanche, opère à un niveau plus profond et plus durable. Elle ne concerne pas tant les résultats de négociations spécifiques que les règles du jeu elles-mêmes. Un acteur dispose d'une puissance structurelle lorsqu'il peut façonner le cadre général qui structure l'ensemble des relations internationales dans un domaine donné.
2.2 Les quatre piliers de la puissance structurelle
Selon Strange, la puissance structurelle s'exerce dans quatre domaines fondamentaux qui constituent les piliers de l'ordre international contemporain.
La structure financière concerne le contrôle sur le système monétaire et financier international. L'acteur qui maîtrise cette structure détermine qui a accès au crédit, à quelles conditions, et dans quelle monnaie s'effectuent les transactions internationales. Les États-Unis exercent une puissance structurelle considérable dans ce domaine grâce au rôle du dollar comme monnaie de réserve internationale et à la domination des institutions financières américaines. Cette position leur permet, par exemple, d'imposer des sanctions extraterritoriales en coupant l'accès des acteurs visés au système financier international libellé en dollars.
La structure productive désigne le contrôle sur les processus de production et les chaînes de valeur mondiales. L'acteur qui maîtrise cette structure détermine ce qui est produit, où et comment. La Chine a progressivement acquis une puissance structurelle importante dans ce domaine en devenant "l'usine du monde", ce qui lui confère un levier d'influence considérable : de nombreux pays dépendent désormais des chaînes d'approvisionnement chinoises, comme l'a révélé la pandémie de COVID-19 avec la dépendance mondiale aux équipements médicaux fabriqués en Chine.
La structure de la connaissance concerne le contrôle sur la production, la diffusion et la légitimation du savoir. Cette dimension englobe les systèmes éducatifs, la recherche scientifique, les médias et, de plus en plus, les données numériques. Les pays qui dominent les universités de premier plan, les revues scientifiques majeures et les plateformes numériques exercent une puissance structurelle en définissant ce qui constitue un savoir légitime. Le système universitaire anglo-saxon, par exemple, impose largement ses standards et ses paradigmes à l'échelle mondiale.
La structure de sécurité désigne le contrôle sur les moyens de protection contre les menaces, qu'elles soient militaires, sanitaires ou environnementales. L'acteur qui fournit la sécurité aux autres acquiert un pouvoir structurel considérable. Les États-Unis ont longtemps exercé cette puissance en offrant un "parapluie de sécurité" à leurs alliés dans le cadre de l'OTAN ou de leurs alliances en Asie, ce qui leur donnait une influence considérable sur les politiques étrangères de ces pays.
3. Les modalités contemporaines de la puissance : hard, soft, smart et sharp power
3.1 Le hard power : la puissance coercitive traditionnelle
Le concept de hard power désigne les formes traditionnelles de puissance coercitive, fondées sur la contrainte et la menace. Il s'agit essentiellement de l'oppression militaire ou économique.
Le hard power militaire repose sur la force armée et la capacité à infliger des dommages à un adversaire. Il se manifeste à travers les guerres, les interventions militaires, les menaces d'usage de la force, ou encore le maintien de bases militaires à l'étranger. L'invasion de l'Irak par les États-Unis en 2003 ou l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 constituent des exemples flagrants d'exercice du hard power militaire.
Le hard power économique utilise les leviers économiques pour contraindre d'autres acteurs. Il peut prendre la forme de sanctions économiques, d'embargos commerciaux, de gel d'avoirs, ou de restrictions d'accès aux marchés. Les sanctions occidentales imposées à la Russie après 2014, puis renforcées après 2022, illustrent cette dimension économique du hard power : elles visent à infliger un coût économique suffisamment élevé pour modifier le comportement du gouvernement russe.
3.2 Le soft power : la puissance de l'attractivité
Face aux limites et aux coûts du hard power, Joseph Nye a développé le concept de soft power, qu'il définit comme la capacité à obtenir ce que l'on souhaite par la séduction plutôt que par la coercition, en s'appuyant sur les valeurs ou le modèle que l'on incarne.
Le soft power repose sur trois ressources principales : la culture (dans ses dimensions populaire et d'élite), les valeurs politiques (lorsqu'elles sont vécues de manière cohérente) et la politique étrangère (lorsqu'elle est perçue comme légitime et ayant une autorité morale). Contrairement au hard power, le soft power ne contraint pas directement, mais crée les conditions pour que d'autres acteurs adoptent spontanément des positions convergentes avec les siennes.
L'avantage principal du soft power réside dans son faible coût comparé aux moyens coercitifs traditionnels. Une intervention militaire peut coûter des milliards et engendrer des pertes humaines considérables, tandis qu'un programme d'échanges universitaires ou la promotion culturelle nécessitent des investissements bien moindres. De plus, le soft power génère moins de résistance et de ressentiment que la coercition directe.
Trois exemples permettent d'illustrer concrètement les manifestations du soft power :
Un exploit sportif peut considérablement renforcer l'image et l'influence d'un pays. Les Jeux olympiques de Pékin en 2008 ont permis à la Chine de projeter l'image d'un pays moderne et organisé. De même, les succès répétés du Brésil en football ont longtemps contribué à diffuser une image positive du pays et à renforcer son identité nationale.
Une université attractive constitue un vecteur puissant de soft power. Les universités américaines comme Harvard, Stanford ou le MIT attirent les meilleurs étudiants du monde entier, qui reviennent souvent dans leurs pays avec une vision favorable des États-Unis et des connexions durables. La France utilise également son réseau d'écoles d'excellence et d'instituts culturels comme outils d'influence.
Un modèle de société séduisant exerce une attraction naturelle sur d'autres populations. Le "rêve américain" a longtemps constitué un atout majeur du soft power des États-Unis, tout comme le modèle social scandinave attire aujourd'hui l'admiration internationale pour son équilibre entre prospérité économique et protection sociale.
3.3 Le smart power : l'alliance stratégique des approches
Reconnaissant que ni le hard power ni le soft power ne suffisent isolément, Nye a introduit le concept de smart power, qu'il définit comme la combinaison stratégique de soft et de hard power.
Le smart power consiste à savoir quand et comment utiliser chaque type de puissance, voire à les combiner simultanément pour maximiser leur efficacité. Un acteur qui maîtrise le smart power sait qu'une intervention militaire peut être nécessaire dans certaines circonstances, mais qu'elle doit être accompagnée d'efforts diplomatiques et culturels pour être durable. De même, il comprend que le soft power seul peut être insuffisant face à des menaces immédiates.
Le Plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale illustre parfaitement le smart power : les États-Unis ont combiné une aide économique massive (une forme de hard power économique utilisée positivement), une présence militaire protectrice en Europe, et la promotion de valeurs démocratiques et de modèles culturels, créant ainsi les conditions d'une influence durable sur le continent européen.
3.4 Le sharp power : la puissance subversive
Plus récemment, les analystes ont identifié une nouvelle modalité de puissance, qu'ils ont baptisée sharp power. Contrairement au soft power qui cherche à séduire, le sharp power vise à miner de l'intérieur par la subversion ou l'intimidation.
Le sharp power exploite les ouvertures des systèmes démocratiques et des sociétés libres pour les affaiblir. Il ne cherche pas à rendre un pays attractif, mais à semer la confusion, à affaiblir la confiance dans les institutions, et à créer des divisions internes dans les sociétés ciblées. Cette forme de puissance se situe dans une zone grise entre le hard et le soft power : elle est plus agressive que le soft power, mais moins ouvertement coercitive que le hard power traditionnel.
Deux exemples illustrent les manifestations du sharp power dans le contexte contemporain :
Les cyberattaques constituent un outil privilégié du sharp power. Elles permettent de perturber les infrastructures critiques, de voler des informations sensibles, ou de paralyser des institutions sans engager ouvertement une confrontation militaire. L'attaque informatique massive contre l'Estonie en 2007, ou les piratages attribués à la Russie contre les infrastructures ukrainiennes, exemplifient cette stratégie.
L'intervention lors de campagnes électorales représente une autre dimension majeure du sharp power. Elle peut prendre la forme de campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, de piratage et de diffusion de documents compromettants, ou de soutien discret à des candidats ou mouvements politiques. Les accusations d'ingérence russe dans l'élection présidentielle américaine de 2016 ou dans le référendum britannique sur le Brexit illustrent ces pratiques, tout comme les opérations chinoises visant à influencer les perceptions internationales sur des questions sensibles comme Taïwan ou Hong Kong.
Conclusion
Cette exploration des différentes conceptions et modalités de la puissance révèle la complexité croissante des relations internationales contemporaines. La puissance ne se réduit plus à la simple capacité militaire ou économique, mais se décline selon de multiples dimensions qui vont de la contrainte directe à la séduction culturelle, en passant par le façonnement des structures profondes de l'ordre international et les stratégies subversives.
Comprendre ces différentes facettes de la puissance est essentiel pour analyser les dynamiques internationales actuelles. Dans un monde de plus en plus interconnecté et complexe, les acteurs qui réussissent sont ceux qui parviennent à articuler habilement ces différentes formes de puissance, en fonction des contextes et des objectifs poursuivis. Cette maîtrise stratégique de la puissance sous toutes ses formes constitue l'un des défis majeurs de la politique internationale au XXIe siècle.